Pièce d’Elfriede Jelinek issue du recueil Drames de Princesses – La Jeune Fille et la Mort, Jackie donne à voir, en un saisissant solo, les mots qu’auraient pu être ceux d’une des plus grandes icônes des années 60 américaines. Ce faisant, Jelinek retourne l’image de papier glacé que nous connaissons tous et met à mal le rêve américain véhiculé par la figure de Jackie Kennedy. À travers un monologue tendu qui vire à la danse macabre, nous sommes invités à nous interroger sur ce qui fait notre fascination pour une icône.
Cette pièce m’a tout de suite frappée en ce qu’elle traite d’une des figures situées à la naissance de notre société de l’image. De fait, la dramaturgie dont témoignent les clichés laissés par le clan Kennedy marquait une nouvelle ère, celle de la communication politique – elle marquait aussi l’avènement du lien entre politique et médias. À ce titre, nous sommes les petits enfants de cette génération qui s’est passionnée pour la séduisante et parfaite image d’un président qui mourut tragiquement mais aussi médiatiquement, puisque les événements voulurent que ce soit sous l’œil des caméras, et à l’occasion d’un défilé mûrement mis en scène, que son assassinat eût lieu.
Créer cette pièce me donne l’opportunité de poursuivre et de décliner le questionnement du lien entre fiction et réel, particulièrement mis à l’épreuve aujourd’hui, en abordant l’une de ces toutes premières manifestations. La Jackie de Jelinek, montrée ici comme femme-objet, refrénant son humanité pour mieux rester immortelle aux yeux du monde, nous parle de nous-mêmes et nous met en garde contre notre capacité à nous oublier dans la représentation que nous cherchons à donner de nous. Trop occupés à (dé)montrer, nous devenons nous-mêmes images, et nous désincarnons pour mieux nous raconter aux autres. Quelle place laissons-nous alors au réel ? Celui-ci continue-t-il d’exister lorsque nous passons plus de temps à retransmettre notre vie qu’à la vivre pour elle-même ?
Représentant pour moi un prolongement direct de la réflexion entamée sur le mythe américain avec Alunir, Jackie aborde plus spécifiquement la question de la représentation du pouvoir. Et nous met non seulement face à notre besoin de nous représenter nous-mêmes, mais également face à notre désir d’icône. C’est ainsi également une nouvelle manière de traiter la question de notre actuel statut de spectateur – nous n’avons, à mon sens, jamais été aussi friands de fiction. Ce mensonge des images officielles, que Jelinek dénonce dans la pièce, n’en sommes-nous pas, en tant que spectateurs en demande, les premiers responsables ?
De fait, une chose demeure en suspens au terme de la pièce : ne serait-ce pas parce qu’elle nous ment qu’une icône nous fascine ? Devons-nous continuer d’élaborer nos rêves à partir d’un réel recomposé ? Jackie, elle, s’amuse de nous et ne se lasse pas de nous vendre ses chimères.
Elfriede Jelinek.
Dialogue entre fiction et réel, mais aussi entre la vie et la mort, Jackie est une incitation à jouer du caractère fascinant et factice de la représentation visuelle en général mais aussi du spectacle théâtral en particulier. À ce titre, je souhaite travailler sur un constant miroitement entre images réelles (mais images très mises en scènes, et à ce titre, proprement fictives) de Jackie Kennedy, et incarnation du rôle sur scène.
Si la silhouette apparaissant sur scène proposera un mimétisme certain avec la Jackie réelle, les projections d’images d’archives sur le corps et les costumes de l’interprète contribueront à dénoncer la représentation en la dédoublant.
La Jackie que nous verrons sur scène sera de fait moins un être vivant qu’une figure aux prises avec les clichés que nous retenons d’elle – s’apparentant pour finir plus à une poupée désincarnée et désorientée, qu’à un être de chair et de sang. Les images Technicolor au milieu desquelles elle évoluera, achèveront de renvoyer ce personnage à son statut de mortel – photos qu’elle regardera et dans lesquelles elle cherchera à se reconnaître en vain, dans une tentative de reconvocation d’une vie qui n’était déjà pas elle-même la vie.
Au terme de ce dialogue du personnage avec son image, de cette exploration du dédoublement d’une icône célèbre, le public le reconnaît : il n’a jamais rien su de cette femme sinon les fictions qu’on lui en a imposées. Le constat de ce vide, de ce silence, c’est peut être à cela que nous incite Jelinek. La mort tient ici la première place, vrai personnage, si ce n’est le seul, de la pièce. Elle est de fait l’un des ingrédients qui consolida de façon durable le mythe des Kennedy et ce que d’aucuns ont nommé le « destin d’une dynastie ».
Nous regardons ainsi la conversation d’un personnage fantomatique avec des images de sa vie factice. Une façon de rompre la chimère et de poser une question : la mort ne serait-elle pas ce qui stimule le plus notre imagination ?
Jackie est l’occasion pour la compagnie de poursuivre l’exploration de la relation fiction-réel dans le monde d’aujourd’hui, à travers deux enjeux majeurs :
• Travailler à un processus de démythification des images qui nous entourent.
La pièce nous offre l’occasion de développer un travail d’analyse de l’image, en déployant les représentations d’une icône célèbre. Elle ouvre un débat sur les figures dans lesquelles nous nous reconnaissons aujourd’hui. Elle aborde en filigrane notre fascination pour des avatars ne renvoyant plus à des référents réels.
• Interroger la façon dont notre être au monde évolue.
À travers Jackie Kennedy, c’est également la question très contemporaine de l’identité qui est posée. Au-delà des icônes que nous contemplons et auxquelles nous nous référons, nous développons nous-mêmes une image de nous. Cela en viendrait-il à modifier notre identité ?
Ces différents enjeux alimenteront la création de Jackie et nourriront notre recherche au plateau. Ils seront également au cœur des actions développées autour du spectacle.
Mise en scène et interprétation – Émilie Le Borgne
Collaboration artistique – François Martel
Création graphique – François Ripoche
Dispositif vidéo – Yoann Jouneau
Lumières – Julien Playe
Jackie bénéficie du soutien de : Région Nouvelle Aquitaine — Département de la Vienne — SPEDIDAM — Maison des Trois Quartiers (Poitiers) — S’Il vous plaît, Théâtre de Thouars, scène conventionnée — Radio Pulsar (Poitiers) — AMAC, Ferme St Michel (Confolens)